Le début du mois de juin, et un samedi ! Que demander de mieux ? Non seulement on se rapprochait à grands pas des vacances d'hiver - hémisphère sud - mais en plus c'était déjà le week-end. Parfait ! J'avais là deux journées devant moi pour me reposer de la semaine de boulot et choyer ma petite Alicia. Avec le temps qui s'était quelque peu rafraîchi, c'était la période idéale pour resserrer les liens familiaux. De quoi je parlais ? Tout simplement du fait qu'il était bien plus aisé de balancer des speechs sur l'importance de la famille quand il ne faisait pas plus de trente degrés à l'ombre avec un soleil brillant à un tel point qu'il était impossible d'être à la hauteur. Et oui, en tant que père célibataire, j'étais littéralement en compétition avec la moindre source de distraction et d'enthousiasme. Franchement, comment se démarquer quand on n'avait absolument aucun argument en sa faveur pour dissuader sa propre fille d'aller s'amuser dehors avec ses amies ? On était d'accords, c'était impossible à moins de vouloir jouer le rôle du méchant papa qui empêchait sa fille de se dégourdir les pattes au soleil...
Comment ça je racontais des bêtises ? Mais pas du tout, j'étais même certain de ne pas être le seul dans ce bateau. À la vitesse à laquelle les enfants grandissaient, il était naturel en tant que parent de vouloir profiter de chaque occasion - quitte à les provoquer - pour passer un peu de temps avec ceux-ci, surtout avant l'effroyable crise d'adolescence !! Yep, Alicia n'avait peut-être que 4ans mais ce n'était pas une raison pour baisser ma garde. D'ici moins d'une décennie, et ça me taraudait chaque jour, ce serait la fin des haricots pour moi... J'entrerais alors officiellement dans la phase "champ de mines" qu'était l'adolescence... Cette cruelle période où acheter son sourire à coups de pâtisserie serait sans aucun doute des plus compliqués. Comment ça c'était de la triche ? Mais pas du tout !! À la guerre comme à la guerre !! Tous les moyens étaient bons pour qu'Alicia respire la joie et la bonne humeur. Tous les moyens ! Et gare à quiconque aurait la bêtise de jouer les nuages noirs au-dessus de sa tête...
Euh... Champ de mines ? Guerre ? Mais qu'est-ce qu'il me prenait à moi tout à coup ? Certes, il ne s'agissait pas forcément de termes que je n'avais jamais employé. Néanmoins, ce jargon spécifique ne faisait pas parti de mon vocabulaire familier. À la limite, j'aurais parlé de fondations, d'échauffages, d'équilibre, d'imprévus et d'autres termes dans ce genre là en guise de métaphore pour ma connexion avec ma fille et mes inquiétudes vis-à-vis de potentiels soucis dans le futur. Hmm... Si ces expressions ne venaient pas de moi, d'où venaient-elles ?
Alors que je m'attelais en cuisine à préparer un dessert chocolaté - vachement chocolaté - je ne tardai pas à comprendre l'origine de cette confusion quand une odeur familière vint me chatouiller les narines. Yep, je ne me trompais pas, il s'agissait de ses fameuses Cannellonni à la Bianchi !! Une recette tellement secrète qu'elle était même cachée de nous autres membres de son cercle ! En partie par respect pour sa recette familiale, mais également parce que notre connexion et ses limites n'avaient plus vraiment de secret pour chacun d'entre nous. Ainsi, quand nous désirions vraiment nous cacher des trucs les uns aux autres, nous savions parfaitement comment nous y prendre. Quoiqu'il en soit, je ne pus m'empêcher de sourire en comprenant ce qu'il se passait et ce qui ne tarderait pas à arriver. En effet, alors qu'au départ nous étions incapables de savoir quand, comment et pourquoi telle ou telle personne apparaissait dans notre champ sensoriel, ce n'était dorénavant plus le cas. On pourrait parler de signe avant-coureur, d'intuition, ou carrément d'une sonnette; m'enfin tout ça pour dire qu'il y avait ce petit quelque chose qui faisait que - en temps normal - nous étions capable de détecter l'arrivée d'un membre de notre cluster.
« Tiens, Luna, quelle coïncidence… » Lui répondis-je d'un ton faussement surpris accompagné d'un sourire. Il était loin le temps où je pensais qu'il n'était qu'une hallucination générée par mon incapacité à gérer mon deuil... À l'époque, l'idée même d'une telle connexion inter-humains ne m'aurait jamais traversé l'exprit, et c'était la raison pour laquelle j'avais attribué l'existence et les apparitions de Luna à une psychose hallucinatoire chronique. Avais-je alors cherché à consulter un thérapeute pour en guérir ? Absolument pas. Le simple fait de pouvoir vocaliser mes pensées et souffrances à une personne - ou hallucination - capable de m'écouter, me comprendre et de partager ma peine, m'avait été plus que bénéfique. Grosso modo, je devais une fière chandelle à la naissance de mon cluster et surtout à l'italienne qui se trouvait actuellement à côté de moi, remuant sa sauce tomate pendant que je remuais mon chocolat fondu.
Avec les 7h30 de décalage horaire qui nous séparait - Luna étant bien en avance sur moi - il était amusant de constater que nous nous retrouvions assez souvent au fourneau en même temps. Certes, il y avait des inconvénients comme les échanges olfactive et gustatif qui avaient tendance à nous frapper momentanément et bien souvent aux pires moments. Franchement, qui aimerait manger un plat de pâtes avec un goût de chocolat ou caramel par dessus ? Ou encore un bon gâteau recouvert d'un nappage à la bolognaise ? Et pourtant c'était exactement le genre de choses qui nous étaient arrivées, et plus d'une fois ! Ainsi, je ne pus m'empêcher de lever le regard au ciel en l'écoutant rejeter la faute sur moi dans cette histoire. Naméoh, c'était qu'elle se moquait de moi en plus ! C'était un comble quand même, non ?
« Vraiment ? Tu n'as pas honte de m'accuser alors que j'étais en cuisine bien avant toi…? Regarde, j'en suis déjà à préparer le dessert alors que tu viens à peine de commencer !! »Lui fis-je remarquer d'un ton moqueur. Ah la la, qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour prouver son innocence... Arborant un tablier Harry Potter par dessus mes vêtements et une toque de pâtissier sur la tête comme à mon habitude, je décidai d'agir comme tout adulte mature qui se respectait en lui tirant la langue ! Voilà ! Ça lui apprendrait à déranger les artistes en pleine inspiration gourmande quand madame se décidait à m'embêter avec la merveilleuse odeur de sa propre cuisine. Jetant un coup d'oeil rapide à ce que je faisais histoire de m'assurer que je ne gâcherais pas tout en regardant ailleurs, je relevai ensuite la tête pour voir ce qu'il se passait du côté de Luna. Me retrouvant alors dans sa cuisine à elle, je pus alors sentir pleinement toutes les saveurs et odeurs qui l'entouraient. Hmm... Miam ! C'était que ça donnait envie tout ça ! Néanmoins, il n'y avait pas que ça, ainsi je ne tardai pas à lui demander:
« Hmm... Pourquoi j'ai l'impression d'avoir passé des heures assis dans un avion ? »Ça me surprendrait toujours. Ces multiples sensations diamétralement opposées que l'on était susceptible de ressentir dès lors que l'on faisait partie d'un même cercle. Personnellement, j'étais tout juste sorti de mon lit quelques heures plus tôt. J'avais bien dormi après ma semaine de boulot, je m'étais levé pour petit-déjeuner rapidement avec Alicia avant d'aller faire des courses pour la semaine. Et là, j'étais en cuisine pendant qu'elle regardait Pokemon bien sagement devant la télé. Bref, rien de bien épuisant de mon côté. Le hic, c'était que je ne pouvais pas en dire autant du côté de la Bianchi. Continuant de remuer le chocolat avec le fouet, je fis une pause et attrapai une cuillère pour lui faire goûter:
« Tu en penses quoi ? »Énième avantage quand on faisait partie du Club Sensate, on avait accès à notre propre panel de juge pour tester nos recettes !
- Tablier de Marcus: